« On ne saurait parler d’un personnage aussi peu connu des orientalistes européens que celui qui va nous occuper, sans exposer d’abord les raisons pour lesquelles on a jugé bon de lui consacrer une étude.
Hiraga Gennai (1729?-1780) a laissé dans l’histoire japonaise le souvenir d’un génie singulier, et difficile à connaître en raison de l’extraordinaire diversité de ses dons et de ses activités : il fut tour à tour ou simultanément naturaliste, prospecteur, inventeur, poète, auteur dramatique, romancier, peintre. Et comme pour mieux souligner cette polyvalence qui n’est pas son moindre titre de gloire, cet homme à facettes aimait à dissimuler sous de multiples pseudonymes les multiples manifestations de son talent. Si presque tous les Japonais connaissent le nom d’Hiraga Gennai, tous savent-ils que l’inventeur du premier générateur d’électricité construit au Japon ne fait qu’un avec ce Fûrai Sanjin dont les anthologies leur ont transmis les contes satiriques et scabreux, et ce Fukuuchi Kigai dont ils voient encore parfois représenter les pièces au théâtre de Kabuki ?
Écrivain, Hiraga Gennai occupe une place non négligeable dans l’histoire littéraire : par ses contes, par ses jôruri il est l’un des promoteurs de la littérature d’Edo au sens strict du terme ; c’est-à-dire celle qui se développe dans la capitale des shôgun à partir du milieu du XVIIIe siècle. Peintre, il est, après les artistes chrétiens du XVIe siècle, le premier Japonais à faire usage des techniques occidentales. Homme de science il est, lointain précurseur de la révolution de Meiji, le premier constructeur de machines que le Japon ait connu.
Ces appréciables mérites constitueraient, à eux seuls, une justification au travail que nous avons entrepris. Cependant, à nos yeux, l’intérêt essentiel du personnage ne réside pas dans son œuvre, si diverse et étonnante qu’elle soit, mais dans sa vie même, dont l’originalité consciente et agressive a profondément impressionné les contemporains, et n’a cessé par la suite de susciter l’intérêt des historiens et des littérateurs… »